• Nous sommes toujours en 2oo7, j'ai 13 ans.
    Je suis toujours moche et complexée, j'ai le même baguy très ample et un gros pull. Mes cheveux sont toujours trop courts et mal teints. Globalement, je ne suis encore vraiment pas belle. On est encore dimanche, je descends à pieds en début d'après-midi rejoindre mes deux amis. Je marche avec mes écouteurs. Je me sens dérangée mais ne fais mine de rien. 
    Jusqu'à ce que je me rende compte qu'un type marche derrière moi depuis quelques minutes déjà. Je le sais parce qu'à ce moment, il marche à ma hauteur en me montrant un porno sur son téléphone. J'enlève mes écouteurs, je ralentis en le regardant d'un air inquiète, je vis ma première agression de ce genre.
    Je ressens une drôle d'angoisse très intense. Plus tard, je saurai que c'est la même angoisse qui revient à chaque fois qu'il est question de danger sexuel. Une angoisse propre à ce danger-là. 

    En enlevant mon écouteur j'entends qu'il me parle en me montrant le film, je ne comprends rien à ce qu'il baragouine, il n'est manifestement pas français ou s'exprime très mal, qu'à cela ne tienne, je presse le pas en me demandant quoi faire. Il me rattrape vie et se met face à moi. Je m'arrête, mon premier réflexe est de rester loin de lui, pas encore de fuir.
    Il sort son oiseau, en désignant le coin du trottoir. Je comprends sa demande. J'ai l'impression que ce moment dure une éternité, je cherche de l'aide autour de moi. Je ne vois que des voitures qui ne s'arrêtent pas. Le désespoir me submerge à chaque voiture, jusqu'à ce que je vois une femme seule qui conduit et qui fait mine de ne rien voir, prend soin d'accélérer quand elle est à ma hauteur.
    C'est très explicite, ce qu'il se passe. De ton angle de vue aussi. Tu ne peux pas faire mine de ne pas voir.
    L'absence totale de compassion de cette adulte me dévaste. Elle qui connait peut être cette peur, elle qui a peut être une fille à qui a pourrait arriver, elle qui doit bien savoir...
    Mais j'ai déjà appris depuis longtemps que les adultes sont des cons. 

    Bon, c'est pas le tout de considérer à quel point je suis un fantôme, mais l'affaire m'attend toujours. Monsieur est très souriant et poli malgré tout, il n'est pas le moins du monde agressif, j'aurai presque pu le remercier pour sa patience. J'ai eu le temps de considérer comme je n'existe pas, je dois tellement être couverte de merde qu'on ne me distingue même plus d'une vraie déjection. 
    C'est une agression qui se passe dans la quiétude et la patience, Monsieur est plutôt de bonne humeur, il me demande "s'il te plaît" comme un amoureux le ferait. Ca me déconcerte un peu, tout cet aplomb.
    Je veux dire, moi j'ose pas me découvrir les bras l'été, et toi t'es là, avec ta bite à l'air, au bord d'une route en plein jour.

    Monsieur bande et commence à se branler. Je sens que ma terreur passe un cap, je veux fuir maintenant. Je lui fonce dedans et court droit devant. Je me retourne une fois, je vois qu'il a remballé ses affaires et qu'il me court derrière. Je sors mon téléphone et appelle un de mes amis que je dois rejoindre. Je me contenterai de lui dire "j'ai un problème je suis route de *****" sans m'arrêter de courir. Je me retourne une deuxième fois, je vois qu'il ralentit et fait un geste avec ses bras en voyant que je suis au téléphone. La troisième fois, il n'y a plus personne derrière, je n'ai jamais su par où il était parti se planquer.  

    Mes deux amis arrivent rapidement. 
    Je leur dirai simplement qu'un mec a voulu me frapper et que j'ai filé. Que j'ai eu peur parce qu'il me courait après.

    J'ai revu ce monsieur plusieurs fois autour du collège et dans le bus. Il portait toujours un t-shirt rouge. 
    Au début je me demandais parfois si il me cherchait moi ou quelqu'un d'autre. Un jour on s'est croisé, il m'a vue sans l'ombre d'un doute, et il était... terriblement normal, plutôt gai, en fait il avait la même attitude que quand il avait déballé ses affaires devant moi. C'était exactement comme si j'avais rêvé, comme si de rien n'était, si ça ne m'était pas arrivé je ne me serai jamais doutée qu'il était ce genre de type.  Il ne me reconnaissait pas ou ne se souvenait pas de moi ou s'en fichait. Je me suis souvent demandée combien de fois il a pu faire ça, comment il décide, si il vise exclusivement mon genre, ou exclusivement les ados du collège, ou juste n'importe qui. Si il l'a eue un jour, sa pipe dans le coin du grillage.


    1 commentaire
  • Nous sommes en 2007. J’ai 13 ans, je suis complexée et comme tous les jours je porte un baguy très ample et un grand pull. Mes cheveux sont trop courts, trop noirs, ma démarche ressemble à celle d’un ours. Globalement, je ne suis vraiment pas belle. 
    On est dimanche, il fait beau, il est aux alentours de 15 heures, je suis à quelques minutes de mon domicile. J'ai mes écouteurs, je passe devant mon horrible collège. 
    Je déteste ce collège. Je ne me défends jamais de ce qui m'y arrive. J'ai peur de faire plus mal que prévu, j'ai peur des conséquences et de possibles représailles. Je crois à tord que mes parents pourraient finir en prison à cause de moi si je faisais du mal.
    Plus tard, j'apprendrais que la Justice, ... à son propre système, et que les flics "n'ont pas que ça à faire". 

    Le trottoir est étroit, et je vois à quelques mètres en face de moi un groupe de jeunes. Probablement du collège. Je baisse déjà la tête je sais que mon physique et mon style vestimentaire suscite toujours de la haine ou des moqueries. Qu’est-ce qu’il va se passer ? Je n’ai pas d’autres choix que de passer au milieu d’eux, de toutes façons même si je changeais de trottoir le temps de les contourner, rien ne les empêcherait de m’insulter de loin et pire, je ne veux pas les inciter à se déplacer, à me suivre ou à marcher avec moi.

    J’y arrive. Je ne les entends pas, j’ai toujours mes écouteurs. Mais je sens quatre mains me caresser des endroits que je n'ose pas prononcer. Je les entends simplement faire des « hmmm ». Ouf, ca n’a duré que le temps que je passe, deux ou trois secondes à peine. Je devrais leur crier dessus, virer leurs sales mains, quel âge ils ont ces connards ? Mon âge si ce n’est plus jeune ! Pour qui ils se prennent ? Je devrais en pousser au milieu de la route et casser la tête des autres. Je suis triste. Ca n’a duré que le temps que je passe, mais quand j’y pense j’ai encore la sensation de leurs mains qui passent, lentes, douces… Ces inconnus qui me détestent aveuglément et que je haïs encore plus… Ce n'est pas la première fois, la douceur de leur geste est une violence que je connais déjà. 
    Je ne m'y habitue pas.

    J’ai honte. J’aurais dû, j’aurais dû, j’aurais dûJ’espère qu’ils n’étaient finalement pas du collège et qu’ils m’ont oubliée.
    Personne ne le saura jamais.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique